RÉSOLUTION 2653 (2022) DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES CONCERNANT HAITI

« Notant avec une profonde inquiétude la dégradation des crises prolongées qui frappent Haïti sur les plans politique, institutionnel, économique, humanitaire, de la sécurité, des droits humains et de la sécurité alimentaire et réaffirmant la volonté de la communauté internationale de continuer d’épauler le peuple haïtien 1 », le 21 octobre 2022, le Conseil de sécurité adopte, à l’unanimité de ses membres, la résolution 2653 en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Le Conseil de sécurité y crée un régime de sanctions concernant Haïti qui regroupe l’interdiction de voyager 2, le gel des avoirs 3 et met en place un embargo sur les armes ciblé 4. Un Comité des sanctions et un groupe d’experts ont également été mis en place afin d’assurer l’application des dispositions prises par la résolution.

1 Préambule de la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité 2 Paragraphes 3, 4 et 5 de la résolution 2653 (2022)
3 Paragraphes 6,7,8,9 et 10 de la résolution 2653 (2022)
4 Paragraphes 11,12,13 et 14 de la résolution 2653 (2022)

Cette résolution du Conseil de sécurité peut être qualifiée de singulière car elle envoie un message clair: celui que les violences doivent cesser et que la communauté internationale « n’abandonne pas le peuple haïtien 5 ». Une précédente résolution du Conseil de sécurité (2645) avait préalablement exigé la cessation immédiate de la violence en bande organisée et des activités criminelles. La résolution 2653 commence par ordonner, une nouvelle fois, « la cessation immédiate de la violence, des activités criminelles et des atteintes aux droits humains, qui compromettent la paix, la stabilité et la sécurité d’Haïti et de la région, notamment les enlèvements, les violences sexuelles et fondées sur le genre, la traite des personnes et le trafic de migrants, ainsi que les homicides, les exécutions extrajudiciaires et le recrutement d’enfants par les groupes armés et les réseaux criminels 6 ». Tous les acteurs politiques sont également engagés à poursuivre des négociations constructives afin de pouvoir sortir de l’impasse politique actuelle 7.

Par la suite, le Conseil de sécurité indiquera aux États Membres qu’ils devront prendre des mesures afin de satisfaire les exigences de la résolution 2653 concernant les trois types de sanctions qui pèsent à l’encontre des personnes ou entités visées à l’annexe de la résolution ou désignées par le Comité. La seule personne qui figure en annexe de la résolution est Jimmy Cherizier, l’un des chefs de bande les plus influents d’Haïti, qui dirige une fédération de bandes organisées connue sous le nom de « Famille G9 et alliés 8 ».

Cette résolution du Conseil de sécurité est novatrice puisque, pour la première fois, des sanctions ciblent directement les activités liées aux gangs. Cette résolution cible les chefs de gangs, ceux qui les soutiennent et les financent, les partis politiques haïtiens mais également les personnes qui participent « à la violence en bande organisée et à des activités criminelles ou à des atteintes aux droits humains ou appuierait de tels actes ou agirait de manière à compromettre la paix, la stabilité et la sécurité d’Haïti et de la région 9 ». Les diverses sanctions prises à travers cette résolution s’appliqueront à toutes les personnes et entités désignées par le Comité des sanctions établi par le Conseil de sécurité 10.

Depuis les années 80, les gangs se sont forgés une certaine assise au sein de l’État haïtien. La pègre organisée a progressivement tissé des liens avec le personnel politique, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition. Les gangs alimentent une crise humanitaire majeure en Haïti puisqu’ils bloquent l’accès à des infrastructures vitales telles que le terminal de Varreux, le principal terminal pétrolier du pays, la distribution d’eau, la collecte des ordures et le fonctionnement des établissements de santé 11. Haïti peut également devenir sujette à une résurgence du choléra suite aux barrages qui entravent l’accès humanitaire à l’eau potable et aux services de santé pour les patients 12. Pour la première fois, par la résolution 2653, le Conseil de sécurité cible directement les gangs et leurs activités qui ravagent Haïti. Les sanctions ne visent pas l’État mais s’appliquent uniquement aux gangs dans l’optique d’asphyxier les actions de cette criminalité organisée.

Cependant, même si cette résolution reçoit un accueil plutôt enthousiaste de la part de certaines délégations, certains États notamment les États-Unis, la Fédération de Russie et le Kenya ont également alerté le Conseil de sécurité sur la portée des sanctions qui, à elles seules, ne pourront pas éradiquer les problèmes politiques, ni le niveau élevé de violence qui rongent Haïti. Une solution devra se dégager sur le long terme afin de « prendre en considération la nécessité d’un processus politique inclusif, du développement socioéconomique, de l’élimination de la pauvreté et des inégalités 13 ». Néanmoins, la résolution du Conseil de sécurité serait à « compléter » avec d’autres dispositifs mis en place par certains États car celle-ci poursuit un double objectif. Il est question d’éradiquer le monopole des gangs haïtiens mais l’objectif de cette résolution est également d’essayer de renforcer et de stabiliser un gouvernement stable en Haïti. Dans ce contexte, le représentant permanant d’Haïti auprès des Nations Unies a réitéré la requête de son gouvernement pour obtenir une force spécialisée qui viendrait en aide à la police haïtienne. À cet égard, les États-Unis et le Mexique préparent un autre projet de résolution visant à autoriser une mission d’assistance (hors cadre onusien) afin de contribuer à la sécurité et à l’aide humanitaire.

Cependant, malgré l’importante avancée dont se félicitent certains États, la perception de la résolution 2653 varie selon certaines positions. Selon Haïti Progrès, cette dernière est perçue comme une véritable ingérence au sein des affaires intérieures haïtiennes. « La constitution haïtienne devrait être notre boussole, non pas la charte des Nations Unies. (...) Avons-nous perdu le droit de nous gouverner nous-mêmes ? 14 », « La résolution 2653 est une ingérence flagrante dans les affaires internes d’un État souverain et indépendant. Rien ne justifie ces sanctions contre Haïti qui n’est pas en guerre avec une nation étrangère ni en guerre civile qui sont les deux cas appropriés aux interventions de l’ONU pourfavoriserlapaixetlaréconciliation15 ».L’interventiononusienneparlebiaisduConseildesécurité est fortement critiquée par une partie de la presse locale qui s’appuie sur l’absence de justification tangible quant à l’adoption de la résolution 2653. Néanmoins, les violations répétées des droits humains et la perpétuelle instabilité véhiculée par les gangs qui règnent sur Haïti ne sont-elles pas des justifications suffisantes quant à l’adoption d’une résolution par le Conseil de sécurité ? De plus, les sanctions ne visent pas Haïti ni le peuple haïtien, mais seulement les gangs qui y sévissent.

 

5 Déclaration après adoption : M. GENG SHUANG (Chine) : « (...) La résolution est aussi un message envoyé à ce peuple, pour qu’il comprenne que la communauté internationale ne les abandonne pas »
6 Paragraphe 1 de la résolution 2653 (2022)
7 Paragraphe 2 de la résolution 2653 (2022)

8 Voir Nations Unies, le 21 octobre 2022 : https://press.un.org/fr/2022/cs15073.doc.htm
9 Voir Nations Unies, le 21 octobre 2022 : https://press.un.org/fr/2022/cs15073.doc.htm + paragraphes 15 à 18 de la résolution 2653 sur les critères de désignation
10 Paragraphe 19 de la résolution 2653 sur le Comité des sanctions

11 Voir Nations Unies, le 21 octobre 2022 : https://news.un.org/fr/story/2022/10/1129062
12 Voir UNICEF Haïti, le 24 octobre 2022 : https://www.unicef.org/haiti/communiqués-de-presse/lépidémie-de-choléra-en- haïti-atteint-plus-de-1-700-cas-suspects-dont-la
13 Voir Nations Unies, le 21 octobre 2022 : https://press.un.org/fr/2022/cs15073.doc.htm
14 Voir Haïti Progrès, (Point 4), le 02 novembre 2022 : https://haitiprogres.com/news/2022/11/02/les-8-premisses-les-plus- alarmantes-de-la-resolution-2653-de-lonu-contre-haiti/
15 Voir Haïti Progrès, (Point 8), le 02 novembre 2022 : https://haitiprogres.com/news/2022/11/02/les-8-premisses-les-plus- alarmantes-de-la-resolution-2653-de-lonu-contre-haiti/

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